À l’heure où la digitalisation transforme les modes de vie et de consommation, les entreprises se trouvent face à un impératif d’adaptation continue. L’émergence d’un consommateur hyperconnecté, exigeant et volubile, redéfinit les parcours d’achat et impose de nouvelles logiques relationnelles. Cette mutation, largement catalysée par la crise sanitaire du COVID-19, questionne les pratiques marketing classiques et place les outils numériques au cœur de la stratégie client. À travers une analyse croisée de la littérature et deux entretiens menés auprès de professionnelles du secteur, cet article vise à éclairer les transformations des comportements des consommateurs et à explorer les mécanismes d’adaptation déployés par les entreprises.
1. Une nouvelle ère du comportement consommateur
Les comportements de consommation connaissent une reconfiguration profonde sous l’effet de trois dynamiques majeures : l’accélération technologique, la crise sanitaire et la montée en puissance des réseaux sociaux.
La pandémie de COVID-19 a agi comme un catalyseur de la transition numérique. Loubna Ait Diwane, Marketing, Communication, Digital & CSR Project Manager chez Total Energies, souligne : « Avec le Covid, tout le monde a pris l’habitude de commander à distance […] même les générations plus anciennes ». La généralisation du télétravail, la fermeture des points de vente physiques et la montée en flèche du e-commerce ont contraint les consommateurs à s’approprier les outils digitaux.
D’après Tran (2021), le confinement a provoqué une bascule historique vers le commerce en ligne, modifiant durablement les routines de consommation. Le digital n’est plus seulement un canal alternatif, il devient une norme.
La nature de la recherche d’information a elle aussi évolué. Comme l’explique Jamila Benabed, cheffe de projet marketing chez NexaVerse Data : « On utilise TikTok comme un moteur de recherche pour avoir des recommandations de produits ». Les plateformes sociales ne sont plus seulement des vitrines mais des outils cognitifs de choix, où la logique de preuve sociale (likes, commentaires, vidéos) prime sur les logiques rationnelles.
Cette tendance rejoint les constats de Knoll (2016), qui identifie l’influence grandissante du marketing d’influence dans la construction des préférences. Le consommateur tend à accorder plus de confiance à une recommandation émanant d’un individu perçu comme sincère qu’à une publicité institutionnelle.
2. Un consommateur plus exigeant, plus critique
Les deux professionnelles interrogées s’accordent sur un fait : le consommateur est aujourd’hui « bombardé d’informations ». La surabondance de contenus commerciaux sur les réseaux crée un effet de saturation cognitive qui pousse l’individu à développer des critères de choix plus affinés. L’exigence devient une réponse adaptative à la complexité de l’offre.
Selon Jamila Benabed, cette exigence se traduit aussi par une attente accrue en matière de transparence : « Le consommateur est devenu plus exigeant, surtout sur les collaborations avec les influenceurs […] une publicité mensongère peut générer un bad buzz immédiat ».
Les consommateurs attendent désormais un parcours fluide, personnalisé, et transparent. L’expérience utilisateur devient un critère décisif. Comme l’écrit Lemon & Verhoef (2016), l’ère numérique exige une reconfiguration centrée sur le « customer experience journey », dépassant la logique transactionnelle pour intégrer l’ensemble des interactions émotionnelles et sociales.
De plus, la demande de personnalisation s’intensifie : segmentation fine, marketing one-to-one, recommandations automatiques… Loubna Ait Diwane confirme cette tendance : « Il faut adapter vraiment le produit aux besoins des clients […] et faire un maximum de segmentation ».
3. Les stratégies d’adaptation des entreprises
Face à cette transformation structurelle, les entreprises révisent en profondeur leurs stratégies marketing. Trois leviers sont identifiés : l’activation de l’influence sociale, l’optimisation des parcours clients via l’IA, et la digitalisation des processus relationnels.
L’influence sociale devient un levier marketing incontournable. Jamila Benabed évoque une « nécessité de collaborer avec des influenceurs et de gérer la e-réputation ».
Le modèle théorique développé par Djafarova et Trofimenko (2019) met en lumière le rôle central du capital d’authenticité dans la manière dont les consommateurs perçoivent et évaluent les contenus diffusés par les influenceurs. Selon ces auteurs, ce capital repose sur plusieurs dimensions interdépendantes — la transparence perçue, la cohérence du discours, l’alignement entre le mode de vie affiché et les valeurs défendues — qui conditionnent la crédibilité accordée à l’influenceur.
Les entreprises adoptent des outils d’analyse prédictive et de gestion des données pour mieux comprendre les comportements et affiner leur ciblage. Salesforce, Power BI, ou encore les IA génératives comme ChatGPT sont intégrées dans les stratégies digitales des entreprises comme Nexa Verse Data.
Selon Kumar et al. (2021), l’intelligence artificielle représente un levier stratégique majeur dans la transformation de la relation client, en raison de ses capacités avancées d’anticipation, de personnalisation et de réactivité. L’IA permet non seulement de prédire les besoins et comportements futurs des consommateurs à partir de l’analyse de données historiques et en temps réel, mais également de personnaliser les interactions à grande échelle en adaptant les contenus, les recommandations et les offres à chaque profil utilisateur.
L’un des aspects les plus structurants de l’adaptation est la gestion de la relation client à l’ère numérique. La rapidité de traitement des requêtes et la capacité à transformer un «angry customer » en client satisfait sont devenues centrales.
Jamila Benabed affirme que « la gestion rapide des réclamations était un game changer », soulignant le rôle stratégique de la réactivité dans la relation client. Cette remarque rejoint les travaux de Michel & Meunier (2020), qui mettent en avant l’importance de l’expérience post-achat dans la construction de la fidélité. Une réponse rapide et adaptée aux insatisfactions permet non seulement de restaurer la confiance, mais aussi de créer un lien émotionnel renforcé. Dans un contexte digital, chaque interaction devient une opportunité de valoriser l’engagement client. Ainsi, convertir une expérience négative en une interaction positive devient aujourd’hui un indicateur clé de performance relationnelle.
4. L’intégration omnicanale comme levier de performance relationnelle
Le développement du phygital, c’est-à-dire l’intégration coordonnée d’éléments physiques et digitaux dans l’expérience client, s’impose aujourd’hui comme une tendance stratégique majeure. Ce modèle repose sur la complémentarité entre la présence physique — magasins, événements, interactions en face-à-face — et les technologies numériques — applications mobiles, CRM, tracking, etc. Selon Verhoef et al. (2015), le phygital incarne l’évolution vers une expérience omnicanale, où chaque point de contact devient une source de données et un levier de personnalisation.
Jamila Benabed résume ainsi cette logique : « Réaliser des campagnes physiques pour collecter des leads utilisés dans le digital : c’est révolutionnaire ». Cette hybridation permet non seulement de générer des insights consommateurs à partir de comportements observés dans le monde réel, mais aussi de réinjecter ces données dans les parcours digitaux via des actions ciblées (publicités personnalisées, newsletters intelligentes, retargeting). Le phygital s’impose ainsi comme un levier de continuité dans la relation client et de création de valeur, en répondant aux exigences croissantes des consommateurs en matière de réactivité, de simplicité d’accès et de fluidité d’expérience.
Conclusion
L’évolution des comportements des consommateurs à l’ère numérique ne relève pas d’un simple changement d’outils, mais d’un basculement paradigmatique. Le digital ne transforme pas uniquement les canaux, il transforme les attentes, les décisions et les rapports de confiance.
Les entreprises qui réussissent sont celles qui embrassent cette complexité, en s’appuyant à la fois sur les technologies, les nouvelles formes de narration (via les influenceurs), et une attention continue à l’expérience client. Comme le montrent les témoignages de Loubna Ait Diwane et Jamila Benabed, la réactivité, l’authenticité et la capacité d’analyse sont les nouveaux piliers de la performance marketing à l’ère numérique.
Bibliographie
- Djafarova, E., & Trofimenko, O. (2019). ‘Instafamous’–credibility and self-presentation of micro-celebrities on social media. Information, Communication & Society, 22(10), 1432–1446. https://doi.org/10.1080/1369118X.2018.1438491
- Kumar, V., Dixit, A., Javalgi, R. G., & Dass, M. (2021). Digital transformation of customer services: The use of AI and big data in service innovation. Journal of Business Research, 136, 1–10. https://doi.org/10.1016/j.jbusres.2021.07.014
- Lemon, K. N., & Verhoef, P. C. (2016). Understanding customer experience throughout the customer journey. Journal of Marketing, 80(6), 69–96. https://doi.org/10.1509/jm.15.0420
- Michel, S., & Meunier, L. (2020). L’expérience client omnicanal. Pearson.
- Tran, G. A. (2021). Digital Consumer Behavior in the Covid Era. International Journal of Market Research, 63(4), 557–572. -Verhoef, P. C., Kannan, P. K., & Inman, J. J. (2015). From Multi-Channel Retailing to Omni-Channel
- Retailing: Introduction to the Special Issue on Multi-Channel Retailing. Journal of Retailing, 93(2), 174–181. https://doi.org/10.1016/j.jretai.2015.02.005
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