La communication de crise en politique : comment gérer l’opinion publique face à un scandale ?

par | Avr 14, 2025

Entre dénégations, excuses et contre-feux médiatiques, la communication de crise en politique s’impose aujourd’hui comme un outil stratégique essentiel pour tout dirigeant confronté à un scandale. Elle regroupe l’ensemble des stratégies et messages déployés par les responsables publics pour faire face à une situation imprévue ou polémique, dans le but de préserver leur légitimité et de maintenir un lien de confiance avec les citoyens. Cet article analyse comment les dirigeants tels qu’Emmanuel Macron et Justin Trudeau ont affronté des crises et quels enseignements en tirer en matière de stratégie de communication. 

L’importance de la communication en temps de crise

Éviter le vide narratif : l’enjeu des premières heures

Lors d’un scandale, la réactivité est un impératif stratégique. Une réponse rapide permet aux dirigeants politiques de cadrer le récit, de limiter les interprétations adverses, et d’éviter que l’espace médiatique ne soit occupé par la rumeur ou la spéculation. Selon Johansson et Vigso (2020), les scandales politiques nécessitent une gestion médiatique efficace, car la couverture médiatique est centrale dans le passage d’un incident à un scandale public.

En politique, la gestion de la communication de crise doit également répondre à des règles éditoriales claires : commencer par les éléments essentiels, puis détailler progressivement – c’est le principe de la pyramide inversée bien connu des journalistes. Cette approche permet de structurer un message efficace face aux cinq questions fondamentales : Who ? What ? When ? Where ? Why ?  

La confiance citoyenne, une variable fragile

En effet, les scandales politiques, qu’ils concernent des affaires de corruption, des conflits d’intérêts ou des comportements inappropriés, ont généralement pour effet d’éroder la confiance des citoyens envers les institutions et leurs représentants. Comme l’indique une étude belge de l’ABSP (2023), les scandales locaux peuvent entraîner une diminution significative de la confiance politique, non seulement au niveau local mais également à des échelons supérieurs du gouvernement.  

Ainsi, bien gérer sa communication de crise en politique n’est pas qu’une question d’image : c’est une condition de pérennité et de maintien de la confiance citoyenne. Les stratégies employées diffèrent cependant selon la gravité des faits, la culture politique et la personnalité du leader pris dans la tourmente.  

France : la crise des Gilets Jaunes – entre silence et récupération

Graffiti sur l’Arc de Triomphe après une manifestation des Gilets Jaunes (décembre 2018). Les dégradations de ce symbole national ont marqué les esprits et mis la pression sur le gouvernement.

Photo de Celette, tirée de Wikimedia Commons, sous licence Creative Commons Attribution – Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 international (CC BY-SA 4.0) https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Arc_de_triomphe_-_Gilets_jaunes_8.jpg

Une crise socio-économique et symbolique

En 2018, le mouvement spontané des ‘gilets jaunes’ plonge la présidence d’Emmanuel Macron dans une crise sociale inédite. Face à des manifestations nationales chaque semaine et à des scènes de violence marquantes (comme l’Arc de Triomphe saccagé en décembre 2018), le silence initial du président a été vivement critiqué, car il a été perçu comme déconnecté et arrogant par une partie de l’opinion. Pendant près d’un mois, aucune allocution présidentielle n’est venue apaiser la colère populaire. Ce n’est que le 10 décembre 2018 qu’Emmanuel Macron s’est finalement adressé à la nation lors d’une allocution télévisée très attendue. Plus de 23 millions de téléspectateurs ont suivi cette intervention. Dans ce discours, le chef de l’État a reconnu ses erreurs de jugement et annoncé des concessions (augmentation du SMIC, annulation de nouvelles taxes, etc.) pour tenter de calmer la contestation. Il a notamment exprimé des regrets envers les Français :

« Je prends ma part de cette responsabilité. …Il a pu m’arriver de vous donner le sentiment que ce n’était pas mon souci… Je sais aussi qu’il m’est arrivé de blesser certains d’entre vous par mes propos. » – Emmanuel Macron, allocution du 10 décembre 2018.

Une stratégie corrective tardive

L’intervention tardive d’Emmanuel Macron a eu un impact mitigé tant sur le plan symboliqueque stratégique. Si une partie de l’opinion publique a accueilli favorablement les mesures annoncées, beaucoup de manifestants ont jugé ces annonces insuffisantes ou trop tardives. La stratégie gouvernementale de communication a été critiquée pour son manque d’anticipation, son inadaptation au climat émotionnel du pays et son rythme déconnecté de l’urgence perçue par les citoyens. Le silence prolongé d’Emmanuel Macron durant les premières semaines a été perçu comme un vide symbolique lourd de conséquences, laissant la parole publique se structurer ailleurs, dans les médias et sur les réseaux sociaux, souvent de manière incontrôlée.

En somme, l’absence initiale de message clair, empathique et structuré a contribué à radicaliser une partie du mouvement, tout en affaiblissant la légitimité du pouvoir exécutif dans sa prétention à incarner une parole rassembleuse. Cette fracture communicationnelle a rendu la reconquête de la confiance bien plus difficile, et a contraint Emmanuel Macron à un réajustement profond de sa stratégie à travers des dispositifs tels que le Grand Débat National, visant à réintroduire un dialogue direct entre le pouvoir et les citoyens.  

Canada : le scandale du ‘Blackface’ – la carte des excuses publiques

Une crise d’image en pleine campagne

En 2019, en pleine campagne électorale fédérale au Canada, l’ancien premier ministre Justin Trudeau est rattrapé par un scandale personnel : plusieurs photographies et vidéos anciennes le montrent le visage grimé en personne de couleur – pratique du Blackface, lors de fêtes costumées dans sa jeunesse. Ces révélations ont suscité des ondes de choc au Canada, pays multiculturel dont Trudeau se veut le champion de la diversité, très rapidement, l’ancien premier ministre a réagi publiquement pour gérer cette crise d’image.

Dès le lendemain de la divulgation des photos, Justin Trudeau a présenté des excuses publiques sincères et sans détour. Face aux caméras, il a admis que son comportement passé était raciste et inacceptable, déclarant qu’il n’aurait « jamais dû faire » cela et qu’il « aurait dû mieux savoir ». Il a exprimé de profonds regrets et demandé pardon aux Canadiens, soulignant que toute sa carrière politique avait été dédiée à la promotion de la diversité et de l’inclusion, et qu’il espérait être jugé sur ses actes concrets plutôt que sur des erreurs commises des années auparavant.

Vidéo illustrant le ton employé par Trudeau pour regagner la confiance du public

Une communication incarnée et transparente

La stratégie de communication de Trudeau s’articule donc autour de trois axes principaux : réactivité, transparence et contrition sincère. Il adopte un registre personnel et émotif, adressant directement ses excuses aux communautés affectées. « Ce que j’ai fait a blessé des gens qui ne devraient jamais avoir à subir l’intolérance et la discrimination », dit-il en substance en reconnaissant le tort causé. À aucun moment il ne cherche à se dédouaner par des justifications hasardeuses ; au contraire, il se montre « très embarrassé » et accepte pleinement le blâme.

En somme, la ligne de communication de Justin Trudeau durant cette crise a été celle de l’excuse exemplaire. Des experts noteront d’ailleurs qu’il a délivré des excuses « parfaites d’un manuel » (‘textbook apology’), en reconnaissant son privilège et en avouant sa terrible erreur sans faux-fuyants.  Sur le coup, le scandale a ébranlé la campagne de Justin Trudeau et entaché son image. Toutefois, la gestion communicationnelle rapide et contrite a sans doute permis de limiter les dégâts politiques. En fin de compte, lors de l’élection d’octobre 2019, Justin Trudeau parvient à être réélu, sa communication de crise, en désamorçant rapidement la controverse par l’excuse et l’humilité, a probablement évité une hémorragie plus sévère de son camp.

Quelles leçons tirer en matière de communication de crise en politique ?

Au regard de ces deux expériences, plusieurs leçons de communication de crise émergent pour les dirigeants politiques :

  • Réagir vite et assumer : Le timing est très important. Plus la réponse tarde, plus la crise s’envenime. Une intervention rapide permet de cadrer le récit. Il faut aussitôt reconnaître la crise et assumer sa part de responsabilité au lieu de la minimiser. Trudeau l’a fait dès les premières heures en s’excusant sans attendre, tandis que Macron a mis plusieurs semaines avant de changer de ton – ce délai a laissé la colère se propager.
  • Faire preuve d’empathie et de sincérité : Une communication de crise efficace doit démontrer que le leader entend et comprend la détresse ou l’indignation du public. Cela passe par des mots qui expriment de la compassion, voire des excuses lorsque c’est pertinent. Macron a dû apprendre à montrer de l’empathie et a fini par admettre avoir blessé par ses propos. Trudeau, lui, a exprimé un regret personnel profond dès le départ.
  • Adapter le message au contexte de la crise : Chaque crise est unique et appelle une réponse sur mesure. S’il s’agit d’un scandale personnel (morale, conduite privée), la stratégie gagnante sera centrée sur l’excuse personnelle. La réhabilitation de l’image et éventuellement des gestes symboliques pour se racheter. S’il s’agit d’une crise politico-sociale, il faudra combiner la communication avec des mesures concrètes et peut-être engager un dialogue plus large pour montrer qu’on apporte des solutions et qu’on implique les parties prenantes.       
  • Reconstruire la confiance par l’action et dans la durée : La communication de crise ne s’arrête pas à la conférence de presse ou au discours initial. Ce n’est que le début d’un processus de reconquête de l’opinion. Les paroles doivent être suivies d’effets. Macron a pu regagner un peu de crédit en mettant en œuvre les mesures annoncées. Trudeau a dû démontrer dans la suite de sa carrière politique que son comportement était conforme à ses excuses. L’authenticité sur le long terme est la clé. 

En appliquant ces principes, un leader maximisera ses chances de transformer une crise en opportunité de montrer sa capacité à affronter l’adversité avec transparence et leadership, plutôt que de subir passivement les évènements.

Conclusion 

En France comme au Canada, les épisodes d’Emmanuel Macron face aux Gilets Jaunes et Justin Trudeau face au scandale de blackface rappellent que la communication est indissociable de la gestion de crise politique. Plus qu’un simple habillage, elle constitue le levier central pour calmer les esprits, restaurer la confiance et éviter qu’une situation difficile ne dégénère en catastrophe irréversible. Si les contextes diffèrent, le fil rouge est que tout dirigeant confronté à la tempête doit écouter la clameur qui monte, reconnaître ses insuffisances, puis s’exprimer avec honnêteté et empathie en proposant une voie de sortie.

Aucune stratégie de communication, fût-elle brillante, ne garantit une résolution complète d’une crise profonde, mais une mauvaise communication, elle, peut à coup sûr aggraver la crise. À l’inverse, une bonne communication de crise permet de regagner un peu de temps et de capital confiance pour ensuite agir.

Emmanuel Macron et Justin Trudeau ont chacun, à leur manière, illustré des failles et des réussites en communication de crise. L’analyse comparée de leurs expériences souligne qu’il n’existe pas de recette universelle, mais un impératif absolu : replacer l’humain au centre du discours.  Qu’il s’agisse de la « colère du peuple » ou de la « déception morale », c’est en répondant aux émotions et attentes légitimes par la franchise, l’empathie et des actions pertinentes qu’un responsable politique peut espérer pour surmonter l’épreuve.

Bibliographie

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