À l’été 2024, Audi Brussels annonce une restructuration importante de son site belge. Si l’information est relayée par la presse, en interne, la communication semble avoir été très limitée, sans une stratégie d’accompagnement clairement perceptible ce qui inquiète les salariés. Pourtant, dans un contexte aussi sensible, la communication interne peut jouer un rôle essentiel pour accompagner le changement. Ce cas soulève alors une interrogation : la communication interne est-elle indispensable dans la gestion du changement ?
Communication interne et restructuration : un outil stratégique
Les restructurations représentent très souvent un moment difficile à passer dans la vie d’une organisation. En plus des ajustements techniques qu’elles provoquent, elles bouleversent également des éléments fondamentaux pour les salariés comme leurs habitudes, leurs repères et leurs relations de travail. D’un point de vue humain, cette situation peut provoquer de l’incompréhension, de l’incertitude, voire une perte de confiance envers la direction. En effet, le lien de confiance avec l’employeur peut se fragiliser, surtout si les décisions sont mal expliquées ou perçues comme injustes (Brulois & Lépine, 2024).
Cette période de restructuration met l’organisation face à un double défi : d’une part, elle doit mettre en œuvre les ajustements nécessaires à sa survie, d’autre part, elle doit préserver une certaine forme de cohésion interne suffisante pour éviter de provoquer la panique chez ses salariés. C’est précisément à ce moment-là que la communication interne devient essentielle à la gestion du changement et peut vraiment faire la différence en tant qu’outil qui donne du sens et non comme un simple moyen de faire circuler de l’information. Comme le rappellent Hernandez (1994) et Donjean (2015), une communication interne efficace en période de crise ne se limite pas à la diffusion d’informations pratiques ou juridiques. Elle doit aussi reconnaître ce que vivent les personnes concernées, c’est-à-dire leurs doutes, leurs peurs, leurs frustrations. Elle joue ainsi un rôle symbolique, en participant à la construction d’un discours qui permet de faire accepter le changement mais aussi de reconnaître les émotions et les tensions qu’il génère.
La communication interne ne garantit pas, à elle seule, l’adhésion au changement. Mais son absence peut aggraver les tensions présentes et impacter la capacité de l’organisation à traverser la restructuration. C’est pourquoi de nombreux chercheurs considèrent aujourd’hui la communication interne comme une fonction stratégique à part entière, en particulier dans les périodes de changement.
Analyse du cas Audi Brussels

Méthodologie
Afin d’évaluer la place réellement accordée à la communication interne dans le cadre de la restructuration chez Audi Brussels, nous adoptons une approche qualitative fondée sur l’analyse de documents publics : communiqués de presse, auditions parlementaires, articles de presse. Cette analyse s’appuie sur une grille construite à partir des grands enjeux identifiés dans la littérature académique en communication interne.
Cette grille est complétée par une lecture sémiotique à l’aide du schéma actanciel, inspirée du modèle de Greimas, afin de mieux comprendre comment Audi Brussels a construit ou non un récit dans lequel ses messages prennent sens.
Précisons que cette analyse repose exclusivement sur des documents accessibles publiquement. Elle ne vise pas à reconstituer toute la stratégie interne d’Audi Brussels, mais à analyser les éléments accessibles en les croisant avec les principes théoriques de la littérature en communication.
Contexte
Le 10 juillet 2024, Audi Brussels rend publique son intention de restructurer l’usine située à Forest. Dans un communiqué publié sur le site Audi MediaCenter, la direction explique que la demande pour le modèle Q8 e-tron, produit exclusivement à Bruxelles, est en forte baisse. L’entreprise évoque aussi des coûts de production trop élevés. Elle annonce qu’une procédure d’information va être lancée, et que la fermeture du site est envisagée, avec un impact possible sur 1.510 emplois. Cette annonce déclenche de nombreuses réactions du côté syndical et lance officiellement le processus de consultation prévu par la loi.
Contenu des messages
Le discours d’Audi repose essentiellement sur des arguments économiques. Le communiqué de presse évoque une baisse de la demande et des coûts de production trop élevés, mais ne fait aucune mention explicite des conséquences humaines ou sociales de la décision. Cette absence de reconnaissance symbolique est significative. Comme le soulignent Hernandez (1994) et Donjean (2015), en contexte de crise, le contenu du message doit intégrer une dimension humaine, capable de reconnaître les émotions vécues par les salariés. Or ici, le discours se limite à des faits économiques, sans explication du sens profond du changement.
Temporalité des prises de parole
La communication débute avec l’annonce officielle de restructuration, sans qu’une phase préparatoire n’ait été mise en place en amont. Par la suite, les prises de parole sont restées ponctuelles, liées au calendrier légal, sans véritable suivi structuré. Audi semble s’être contentée d’une communication concentrée sur un moment unique, sans accompagnement dans la durée.
Canaux mobilisés
Les échanges ont principalement eu lieu à travers des réunions d’information prévues dans le cadre de la procédure légale, des messages descendus via la hiérarchie, et quelques entretiens individuels. Aucun canal interactif ou numérique ne semble avoir été mobilisé. Cette approche va à l’encontre des recommandations actuelles sur l’usage d’outils collaboratifs permettant d’ajuster les discours en fonction des retours du terrain (Tkalac Verčič, 2024).
Posture de communication
La posture observée de l’entreprise est descendante et unilatérale. Les retours des syndicats soulignent un manque d’écoute de la part de la direction. Plusieurs représentants évoquent une rupture avec la culture de dialogue social précédemment en place chez Audi Brussels. Cette logique verticale, décrite comme inefficace par Morillon et Bouzon (2009), réduit la capacité des équipes à s’approprier le changement.
Effets perçus par les salariés
Les réactions ont été marquées par un sentiment de frustration, un manque de clarté, et une grande incertitude. Les auditions parlementaires, ainsi que les retours syndicaux, révèlent une perte de confiance profonde des salariés envers la direction.
Le climat social s’est rapidement détérioré, et la communication n’a pas permis de rassurer les salariés concernés. Cela confirme ce que la littérature avance : une communication insuffisante ou mal pensée peut aggraver les tensions dans un moment de transformation (Donjean, 2015 ; Brulois & Lépine, 2024).
Le 28 février 2025, la fermeture du site fut officiellement actée. L’usine Audi à Bruxelles cessa définitivement ses activités, entraînant le licenciement de quelque 3.000 personnes.
Schéma actanciel
Dans le schéma suivant, la restructuration correspond à l’action centrale du programme narratif, c’est-à-dire le moyen mobilisé par l’entreprise pour atteindre son objectif, qui est représenté par l’objet. Voici comment les rôles du schéma actanciel sont distribués dans le récit implicite construit par la communication d’Audi Brussels :
- Sujet → Audi Brussels, qui cherche à résoudre un problème de rentabilité.
- Objet → le maintien de la viabilité économique du site, présenté comme l’enjeu à atteindre.
- Destinateur → le groupe Audi, qui définit les objectifs de performance et impose une logique de compétitivité.
- Destinataire → le siège, les actionnaires, les marchés financiers, vers qui le discours semble orienté.
- Adjuvants → les données économiques, mobilisés pour justifier la décision.
- Opposants → les syndicats, les salariés, qui expriment leurs inquiétudes ou leur désaccord.

Ce récit narratif pose un vrai problème du point de vue de la communication interne. Les salariés, pourtant directement concernés, ne sont ni associés à l’action, ni présentés comme destinataires du changement. Ils apparaissent au contraire comme des éléments perturbateurs, voire des obstacles à la mise en œuvre du plan. Cela renforce l’idée que la décision a été prise sans eux, dans une logique descendante. En laissant les salariés hors du récit, l’entreprise passe à côté d’une opportunité de mobiliser les équipes autour d’un projet et de préserver un minimum de cohésion dans un moment pourtant critique.
Le cas AXA : un exemple de plan structuré et progressif
L’exemple du groupe AXA montre que certaines entreprises choisissent une approche très différente. Lors du lancement de son plan stratégique, l’entreprise AXA a mis en place une communication progressive, structurée, et pensée pour ses différents publics. L’entreprise a planifié la communication en plusieurs temps : d’abord auprès des dirigeants, puis des communicants, ensuite des managers, avant un forum en ligne ouvert à tous les collaborateurs. Ce rythme progressif permet d’adapter les messages selon les publics, en tenant compte de leur position, de leur rôle, mais aussi de leur besoin de compréhension (Perruchot, 2016). Elle souligne l’importance d’adapter à la fois le moment où l’on communique et le support utilisé selon les publics concernés.
Pour une approche plus humaine, plusieurs travaux rappellent qu’une communication interne réfléchie, adaptée aux différents publics et intégrée dès les premières étapes du changement peut faire une vraie différence.
Conclusion
La communication interne est-elle indispensable dans la gestion du changement ? Tout dépend, en réalité, des objectifs poursuivis par l’entreprise. Si l’enjeu est uniquement économique, une communication interne minimale peut sembler suffisante. Mais si l’entreprise cherche à préserver une cohésion interne ou à maintenir un lien de confiance avec ses salariés, alors, la communication interne devient indispensable.
Dans le cas d’Audi Brussels, la communication interne est restée minimale, cadrée par les obligations légales. C’était un choix de l’entreprise. Choisir de mobiliser pleinement la communication interne face au changement, ou au contraire de la restreindre est une décision stratégique. Chaque orientation a ses implications, et il faut en assumer les conséquences.
À elle seule, la communication interne ne garantit pas de régler toutes les tensions qu’une entreprise peut traverser en période de restructuration, mais elle permet souvent de mieux faire comprendre les décisions auprès des salariés.
Pour en savoir plus sur les pratiques à mettre en place face au changement, notre article « Changement en entreprise : comment bien communiquer en interne ? », est disponible sur le site de Décodage Com.
Bibliographie
Audi MediaCenter. (2024). « Audi is formulating its intention to restructure the Brussels site ». Communiqué de presse.
https://www.audi-mediacenter.com/en/press-releases/audi-is-formulating-its-intention-to-restructure-the-brussels-site-16097
Brulois, V., & Lépine, V. (2024). « Dynamiques contemporaines de la communication interne ». Communication & Organisation. p. 11-14.
https://journals.openedition.org/communicationorganisation/13832
Chambre des représentants de Belgique. (2024). « La restructuration annoncée chez Audi Brussels ». Rapport d’audition.
https://www.lachambre.be/FLWB/PDF/56/0222/56K0222001.pdf
Donjean, F., & Lambotte, F. (2015). « Vers une politique de communication interne socialement responsable en période de restructuration ». Revue internationale de communication sociale et publique, p. 28–48.
Hernandez, É.-M. (1994). « La communication interne : du discours à la réalité ». Communication & Organisation. p. 1-4.
https://journals.openedition.org/communicationorganisation/1706
La CNE. (2024). « Restructuration très lourde chez Audi Brussels : inacceptable selon la CNE ». Communiqué syndical.
https://www.lacsc.be/page-dactualites/2024/07/10/restructuration-tres-lourde-chez-audi-brussels-inacceptable-selon-la-cne
(2025). « La fermeture d’Audi Brussels, symbole des difficultés de l’industrie belge ». Le Monde. Article de presse.
https://www.lemonde.fr/economie/article/2025/03/01/la-fermeture-d-audi-brussels-symbole-des-difficultes-de-l-industrie-belge_6571865_3234.html
Morillon, L., & Bouzon, A. (2009). « Les injonctions paradoxales de la communication interne en période de tensions organisationnelles ». Etudes de Communication, p. 189‑202.
https://doi.org/10.4000/edc.1047
Perruchot, V. (2016).« Définir un plan de communication interne ». La communication interne, p. 74.
https://shs.cairn.info/article/DUNOD_PERRU_2016_01_0073
Tkalac Verčič, A., Verčič, D., Čož, S., & Špoljarić, A. (2024). « Une “revue systématique” de la communication interne numérique ». Communication & Organisation, p. 132–146.
https://journals.openedition.org/communicationorganisation/14124
(2024). « Audi envisage de fermer son usine de Bruxelles : 1 510 licenciements ». VRT NWS. Article de presse.
https://www.vrt.be/vrtnws/fr/2024/07/10/audi-envisage-de-fermer-son-usine-de-bruxelles-1-510-licencie
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