La gamification est l’un des nouveaux outils marketing en vogue du 21e siècle (1). L’utilisation de cette méthode d’apprentissage a complètement explosé avec le développement des téléphones portables et des applications mobiles. Mais la gamification n’est pas qu’un simple outil ludique utilisé par les marketeurs pour fidéliser leur public, c’est également une technique d’apprentissage qui utilise les neurosciences chez le public.
Perspective neuroscientifique sur la gamification
La gamification est plus qu’une simple méthode d’encouragement basée sur des récompenses. En fait, son efficacité repose sur des mécanismes profondément enracinés dans le fonctionnement du cerveau humain. La recherche en neurosciences suggère que la réussite de la gamification ne dépend pas uniquement de la nature de la motivation, mais aussi de la manière dont les objectifs sont formulés (2).
L’un des approches qui semble la plus efficace en gamification est celle où les récompenses sont attribuées en réponse à la curiosité et à l’exploration, dans le but de favoriser l’apprentissage. Lorsque les apprenants sont intrinsèquement motivés par leur propre désir de découvrir et de comprendre, leur engagement et leur rétention des connaissances s’améliorent significativement. En revanche, une approche impérative, axée sur l’évitement de la punition, risque de compromettre la qualité de l’apprentissage. Les apprenants motivés par la peur des conséquences négatives peuvent adopter une approche plus superficielle et moins durable dans leur acquisition de connaissances.
Ces distinctions entre les objectifs interrogatifs et impératifs trouvent leur fondement dans les processus de récompense et de punition du cerveau. Des études comme celles menées par Schultz et al. (1997) ont montré que le cerveau humain réagit différemment aux récompenses et aux punitions, avec des implications significatives pour l’apprentissage et la motivation.
Ainsi, la gamification consiste à appliquer des éléments du jeu à divers domaines d’activité pour encourager l’engagement. Elle s’inscrit dans le cadre de l’apprentissage actif, privilégiant une approche centrée sur l’apprenant. Plusieurs études ont démontré que cette technique d’apprentissage, aujourd’hui très utilisée à des fins marketing, agissait directement au niveau du cerveau de l’utilisateur et ce, à plusieurs niveaux.
Travail sur l’hippocampe
L’hippocampe est une région du cerveau, que l’on associe à la mémoire à long terme ainsi qu’à la navigation spatiale. Plusieurs tests cliniques ont révélé que la gamification stimulait l’apprentissage en travaillant directement sur le rappel de contenu grâce à une forte activation de l’hippocampe. En répétant une information régulièrement auprès d’un utilisateur, il aura ainsi plus de facilité à retenir celle-ci.
Duolingo, une application dédiée à l’apprentissage des langues, est l’un des exemples phares d’utilisation de gamification. En rappelant à l’utilisateur de suivre ses leçons et en le poussant à travailler quotidiennement, l’hippocampe sera plus souvent sollicité permettant ainsi un meilleur apprentissage sur le long terme.
Il est d’ailleurs intéressant de constater que le cerveau retient plus facilement de nouvelles informations lorsque celles-ci sont liées à des expériences positives. C’est l’une des raisons qui poussent les créateurs d’applications de gamification à inclure des récompenses. En proposant des récompenses positives pour l’utilisateur, celui- ci va recevoir des boosts d’hormones, permettant ainsi d’accroître le sentiment de bonheur et donc, retenir plus facilement certaines informations.
Le travail sur les hormones : dopamine vs sérotonines
Un point commun que l’on retrouve dans les différentes formes de gamification et dans le jeu en général, c’est la libération d’hormones telles que la dopamine, l’ocytocine, la sérotonine ou les endorphines.
La dopamine est l’hormone associée au plaisir immédiat en réponse à une stimulation. Elle joue un rôle dans des choses comme la mémoire, la cognition, la motivation ou encore le sommeil. Lorsque nous gagnons à un jeu ou lorsque l’on atteint un objectif par exemple, notre sentiment de bonheur instantané et de satisfaction augmente, libérant ainsi de la dopamine.
Cette libération de dopamine est d’ailleurs liée à une autre hormone présente dans le processus de gamification : la sérotonine. Celle-ci est également une hormone que l’on associe avec le bonheur et elle agit sur plusieurs niveaux : sommeil, désir sexuel, mémoire ou encore humeur. Plusieurs points communs donc avec la dopamine sauf qu’ici, on ne parlera pas d’un plaisir immédiat, mais plutôt d’un plaisir qui va stabiliser l’humeur dans le temps. Les antidépresseurs sérotoninergiques sont un très bon exemple de traitement à long terme utilisant cette hormone.
Il est intéressant de noter que l’augmentation de dopamine engendrera une diminution de sérotonine et vice-versa. Une victoire en fin de partie ou l’obtention d’un badge dans l’immédiat générera donc plus de dopamine tandis que la vision de la collection avec tous nos badges, générera plutôt de la sérotonine puisqu’elle n’est pas fixée dans un instant. Duolingo dispose par exemple d’une section statistiques et d’une section « distinction » on le peut retrouver plusieurs de nos accomplissements obtenus dans le passé.
D’autres formes d’hormones positives
Mais ces deux hormones ne sont pas les seules que l’on va retrouver dans le processus de gamification. Lorsque le cerveau reçoit des informations présentées sous forme d’histoire par exemple, il les reconnaît comme étant plus valables. Ceci est lié à l’ocytocine que dégage le cerveau lorsqu’on est impliqué dans une histoire.
L’ocytocine est une hormone qui génère des sentiments de confiance et d’empathie. Nous retenons donc mieux les histoires que les faits, c’est pourquoi la narration est beaucoup utilisée dans la gamification.
C’est une des hormones que l’on retrouvera beaucoup plus dans les processus d’apprentissages en gamification. Une application telle que Quizlet par exemple, va utiliser la gamification en transformant des faits et informations dont il faut se souvenir, en question à choix multiples.
Enfin, il est essentiel de parler des endorphines, que l’on retrouve également en grande quantité dans la gamification mais même dans le jeu de manière générale. Les endorphines, combinées avec les autres neurotransmetteurs, permettent d’obtenir un environnement parfait pour un apprentissage concentré et efficace. Par exemple, les exergames, qui mêlent exercice physique et divertissement ludique, peuvent déclencher la libération d’endorphines, procurant ainsi aux joueurs des sensations de plaisir et de bien-être. Cette libération d’endorphines contribue à une expérience émotionnellement positive, propice à la concentration et à l’apprentissage. De plus, les exergames peuvent aider à atténuer le stress et l’anxiété, améliorant ainsi la qualité de l’apprentissage en créant un environnement plus détendu et réceptif (3).
Dans ce sens, une application de fitness telle que Zombies, Run! utilise la gamification pour encourager les coureurs à s’entraîner régulièrement. Dans ce jeu, les utilisateurs doivent courir pour échapper à des zombies virtuels et accomplir des missions. À mesure qu’ils atteignent des objectifs et complètent des tâches dans le jeu, ils sont gratifiés par des récompenses virtuelles qui stimulent la libération d’endorphines. En intégrant des mécanismes de gamification qui déclenchent la libération d’endorphines, les concepteurs de jeux peuvent optimiser l’efficacité de leurs produits en tant qu’outils d’apprentissage.
Les autres bienfaits du jeu
La sécrétion des hormones est certes un facteur capital lorsqu’on parle de l’impact des jeux au niveau du cerveau. Mais ce ne sont pas les seuls avantages du jeu au niveau cérébral.
Déjà, la stimulation du cerveau par le jeu permettrait de garder celui-ci en forme. Attention néanmoins qu’une surexploitation du cerveau peut vite se révéler nocif. Selon des études menées par la Texas A&M International University, les jeux réduiraient la dépression et les sentiments hostiles chez les joueurs grâce notamment à la libération des hormones de bonheur mentionnées précédemment.
Ensuite, la gamification permet de sectionner en plusieurs parties les choses que l’on souhaite apprendre. Cette division en petites parties permet de retenir plus facilement les informations capitales et donc, d’éviter une surcharge cognitive. La ludification de l’activité d’apprentissage permet également à l’utilisateur de minimiser la pénibilité de la charge de travail en la rendant plus légère et moins problématique.
Enfin, certains jeux permettent d’acquérir et d’améliorer des compétences qui sont indispensables dans le monde. On va ainsi développer des compétences professionnelles et pratiques comme la gestion de ressources et l’établissement de priorité. Mais certains jeux vont également améliorer les réflexes et la mémoire chez plusieurs utilisateurs et ce, à tout âge.
Les dangers de la gamification
La gamification, bien qu’elle offre de nombreux avantages en termes d’engagement et d’apprentissage, n’est pas exempte de risques. L’une des préoccupations majeures est la possibilité de développement de dépendance, alimentée par l’utilisation prolongée des appareils connectés. Dans un monde surconnecté où l’on parle déjà de nouvelles transitions digitales comme le web 3.0, où les smartphones et les applications sont omniprésents, il est facile de se laisser absorber par les mécanismes de récompense de la gamification, mais il faut faire attention à ne pas perdre de vue les autres méthodes non digitales.
Les entreprises qui exploitent la gamification dans leurs produits et services ont souvent pour objectif de maximiser l’engagement et le temps d’utilisation des utilisateurs. Cela peut conduire à une utilisation excessive des technologies, ce qui va contribuer à une dépendance comportementale.
De plus, l’engagement excessif dans la gamification peut entraîner un déséquilibre dans la libération d’hormones, telles que la dopamine, la sérotonine et les endorphines, qui sont généralement régulées naturellement par le cerveau. Lorsque ces hormones sont surstimulées de manière artificielle, cela peut avoir des effets néfastes sur la santé mentale et émotionnelle des individus, contribuant potentiellement à des problèmes tels que l’anxiété, la dépression et le stress chronique (4).
Il est donc impératif d’adopter une approche équilibrée et consciente de l’utilisation de la gamification. Les concepteurs et les marketeurs doivent prendre en compte les implications sur la santé mentale et le bien-être des utilisateurs lors de la conception et de l’implémentation de stratégies de gamification. Cela pourrait impliquer des mesures telles que la limitation du temps d’écran, la promotion d’une utilisation responsable des technologies et la sensibilisation aux risques potentiels de la dépendance comportementale. En fin de compte, il est essentiel de trouver un équilibre entre les avantages de la gamification en termes d’engagement et d’apprentissage, et la nécessité de préserver le bien-être et la santé mentale des individus.
Notes:
(1) The Rise in Popularity of Gamification: A Complete Breakdown. (s. d.). Customer Glu.
(2) Luria, E. Shalom, M. & Levy, D. A. (2021). Cognitive neuroscience perspectives on motivation and learning: revisiting self‐determination theory. Mind, Brain, and Education, 15(1), 5-17.
(3) Marques, L. M. Uchida, P. M. & Barbosa, S. P. (2023). The impact of Exergames on emotional experience: a systematic review. Frontiers in Public Health, 11, 1209520.
(4) Here’s how social media affects your mental health. (2024, 29 Mars). McLean Hospital.
Bibliographie:
- Hodent-Villaman, C. (2007). Les jeux vidéo sont-ils bons pour le cerveau ? Sciences Humaines, n° 178. https://www.scienceshumaines.com/les-jeux-video-sont-ils-bons-pour-le-cerveau_fr_15191.html
- Luria, E. Shalom, M. & Levy, D. A. (2021). Cognitive neuroscience perspectives on motivation and learning: revisiting self‐determination theory. Mind, Brain, and Education, 15(1), 5-17. https://doi.org/10.1111/mbe.12275
- Marques, L. M. Uchida, P. M. & Barbosa, S. P. (2023). The impact of Exergames on emotional experience: a systematic review. Frontiers in Public Health, 11, 1209520. https://doi.org/10.3389/fpubh.2023.1209520
- Schultz, Z. et al. (1997). A Neural Substrate of Prediction and Reward. Science 275, 1593-1599. doi: 10.1126/science.275.5306.1593
Webographie:
- Cloke, H. (2020, 7 Avril). Is gamification effective: The Neuroscience of Gamification in Online Learning. Growth Engineering. https://www.growthengineering.co.uk/the-neuroscience-of-gamification-in-online-learning/
- The Rise in Popularity of Gamification: A Complete Breakdown. (s. d.). Customer Glu. https://www.customerglu.com/blogs/the-rise-in-popularity-of-gamification-a-complete-breakdown
- Karageorgakis, T. (2019, 22 Janvier). 10 Things Neuroscience Says About Gamification in Online Learning. Educraft. https://educraft.tech/10-things-neuroscience-says-about-gamification-in-online-learning/
- Here’s how social media affects your mental health. (2024, 29 Mars). McLean Hospital. https://www.mcleanhospital.org/essential/it-or-not-social-medias-affecting-your-mental-health
- Zoom sur les endorphines. (2021, 18 Août). STC Nutrition. https://www.stc-nutrition.fr/fr/dossiers/energie/zoom-endorphines
- ZRX – Zombies, Run! (n.d.). https://zrx.app/zombies
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