Le concept de transmédia est une notion qui peut paraître floue à première vue. Pourtant, dans notre société de consommation actuelle, on y est presque confronté en permanence. Typiquement, la moindre série regardée sur Netflix est soumise à une stratégie de transmédia. Cette article a pour but de donner des éléments pour comprendre ce qu’est le transmédia, en utilisant trois exemples concrets pour mettre en application la théorie sur le sujet.
L’origine du transmédia
Si on veut comprendre le transmédia et les phénomènes qui l’entourent, nous allons nous tourner vers le pionner du genre : Henry Jenkins. Depuis les années 90, ce chercheur Américain est spécialisé des nouveaux médias et considéré comme le pilier des études de fans. Il fait aussi partie des nombreux théoriciens de la culture de la convergence, de la narration transmédia, et de la culture participative. Lors de ses recherches, il a cherché à théoriser les pratiques de certains films. Il a voulu comprendre pourquoi des films dispersaient des éléments de narration au travers de plusieurs supports. Son étude prend son origine dans la trilogie de film The Matrix, où des éléments narratifs nécessaires à la compréhension de l’histoire sont disséminés dans les trois films. Se faisant, le spectateur est poussé à regarder l’intégralité de la saga pour une compréhension de l’univers du film.
En théorie
Dès les années 2000, il s’intéresse à la question du transmédia :
Des principes à respecter
Selon Henry Jenkins, il existe 7 principes à respecter pour qu’un contenu transmédia soit efficace:
- Drillability (pénétrer un monde) / Spreadability (partager les informations)
- Continuité / Multiplicité (le spectateur retrouve des éléments récurrents à travers les différents supports)
- Immersion /Extractibilité (plonger dans un univers pour ensuite se servir des éléments de cet univers dans le quotidien)
- Construction d’un monde (le récit fonctionne de manière cohérente, autonome, reconnaissable…)
- Sérialité (on ne parle pas d’un produit, mais d’un récit raconté par le biais de nombreux médias, chacun desquels apporte quelque chose de nouveau)
- Subjectivité (idéalement, chaque « brique narrative » apporte un point de vue inédit)
- Performance (les fans produisent du contenu qui dilate l’univers du récit, ils mettent en œuvre leurs talents pour prolonger l’expérience du spectacle dans la vie réelle).
Son utilisation
On comprend par la définition que l’intérêt d’appliquer une stratégie de transmédia est de profiter de l’ensemble des médias disponibles. L’enjeu est réel pour les créateurs, il s’agit là de l’opportunité de créer des univers complexes et variés, en utilisant les atouts que peuvent représenter chacun des différents médias possibles. Se faisant, l’œuvre se diversifie en contenu de manière presque naturelle, en offrant au spectateur toujours plus de manières d’apprécier ces univers. Il s’agit là d’un énorme enjeu créatif, et de nos jours, il est difficile pour œuvre de capter un public sans miser sur du transmédia. Cette stratégie permet donc de varier les récits, les faire se rejoindre ou les laisser vivre de manière indépendante.
Une multitude de plateformes possibles
On peut faire du transmédia storytelling tant qu’il reste dans une vision cohérente du projet et tant qu’il y a un public. Voici une liste non-exhaustive des différents medium pour le transmédia :
- Films
- Séries
- Jeux-vidéos
- Livres
- Musiques
- Documentaires
Quelques exemples concrets
La Formule 1 : Renouveler et rajeunir son public
Sur ces dix dernières années, la F1 a subi une réelle perte de vitesse au niveau de ses audiences. Pendant longtemps, le sport a cultivé cette image de rendez-vous dominical, presque ennuyeux pour un public vieillissant. Faute à deux dominations totales de pilotes et d’écuries sur la dernière décennie, à savoir Red Bull avec Sebastian et Vettel (4 titres) et Mercedes avec Lewis Hamilton (6 titres donc 7 au total).
Les enjeux pour la Formule 1
Il y avait un réel besoin de renouveau d’identité pour le sport, cela va jusqu’à la révision de son identité graphique ainsi que de s’implanter avec intelligence sur les réseaux sociaux. Et avec l’arrivée de pilotes plus jeunes et d’une mentalité beaucoup plus connectée et humaine, il y avait là une opportunité de renouveler le public de la Formule 1, ouvrir les portes d’un milieu assez fermé et plaire à un jeune public.
La série, un format tendance
C’est en mars 2018 que Liberty Media propriétaire du groupe Formula 1 et du championnat du monde) adopte une stratégie créative transmédia et annonce la création d’une série Netflix sur les coulisses du milieu avec : Formula 1, Pilotes de leur destin. L’idée est de plonger le public au cœur du monde du sport automobile, on va pouvoir suivre la vie des pilotes et comprendre ce microcosme. Chaque saison comporte dix épisodes qui retrace une saison (presque) entière de championnat. Il est intéressant de noter que lors de la première saison, seule les petites écuries ont ouvert leurs portes au caméra de Netflix. Ce n’est qu’à partir de la deuxième saison que des grosses écuries telles que Ferrari ou Mercedes, ont accepté d’être totalement impliquées.
Un choix gagnant
Initialement prévue pour une saison, c’est en février 2023 qu’est sorti la cinquième saison. Cela montre un réel succès de la série sur Netflix, plutôt habitué aux annulations qu’aux prolongations. L’avis du CEO de la formule 1, Stefano Domenicali semble montrer une vraie réussite de la collaboration avec le géant du streaming.
« Il ne fait aucun doute que Drive to Survive (Pilotes de leur destin) a eu un effet incroyable, principalement sur les nouveaux publics, et aussi sur d’autres nouveaux marchés comme les États-Unis, c’est certain… Cela contraste fortement avec le vieillissement de la base de fans et le déclin des audiences télévisées dans de nombreux autres sports. Cela étant dit, c’est également un produit gagnant pour Netflix. [La série] a été numéro 1 à un moment donné de l’année dans 27 pays. »
Stefano Domenicali. Motorsport
La série n’est pas non plus exempt de toutes critiques. Le pilote phare du moment Max Verstappen a d’ailleurs refusé d’apparaître dans la 4ème saison de la série :
« Ils ont créé des rivalités qui n’existent pas vraiment … J’ai donc décidé de ne plus y participer et je n’ai plus donné d’interviews après cela, car il n’y a rien de plus à montrer.
Max Verstappen, France Racing
Après des discussions avec les producteurs de la série sur leur vision et la façon dont ils avaient de déformer la réalité au profit de la fiction, il a finalement fait son retour dans la saison 5 :
League Of Legends : Etendre son univers au grand public
Sorti en 2009, ce jeu gratuit d’arène de bataille en ligne créé par le studio Riot Games est aujourd’hui considéré comme l’un des jeux en ligne les plus joués dans le monde. Et pour cause, en 2021, plus de 150 millions de personnes ont un compte enregistré sur le jeu avec plus de 10 millions de joueurs journaliers. Lors de parties uniquement en ligne en 5 contre 5, les joueurs s’affrontent pour éliminer l’équipe adversaire. Je pourrais passer des heures à détailler la complexité d’un tel jeu, mais là n’est pas le propos. Le jeu possédant un univers riche, chaque personnage a un développement propre avec une histoire unique, s’inscrivant dans une trame narrative globale et cohérente.
Le phénomène Arcane
Pourtant, ce jeu associé à l’eSport ; peut être perçu avec un côté un peu geek, méprisant, faute à une ignorance d’une partie de la population ne jouant pas aux jeux-vidéos. Dans la supposée optique de se faire connaître du grand public et faire connaître son univers, Riot Games mise sur le transmédia en annonçant en 2016 la création d’une série animée : Arcane.
L’idée est de proposer une adaptation de l’Univers de League Of Legends en animation en collaboration avec le studio français Fortiche Productions et Netflix. C’est en 2021 qu’est parue ra la première saison de 9 épisodes, où l’on suit les aventures de deux sœurs Jinx et Vi. La série fera un carton sur Netflix, détrônant même le phénomène coréen Squid Game à sa sortie ! Elle remporte aussi un Emmy’s pour le meilleur programme d’animation en 2022, devançant des séries déjà bien installées comme Rick et Morty et offrant à Netflix son premier trophée à cette cérémonie.
Multiplier les médias avec une valeur ajoutée
Riot Games ne s’arrête pas là dans son contenu transmédia, en effet le studio fait produire le thème de la série par le groupe de pop rock Imagine Dragons, qui sortira le titre « Enemy ». Le son restera dans les charts pendant plus de 38 semaines, et il s’est même installé comme chanson régulièrement jouée lors des concerts du groupe. Le groupe participe donc de cette manière dans cette stratégie de transmédia. Là où Riot Games fait fort, c’est qu’ils parviennent à faire exister leur jeu et son univers au-delà du jeu en toute cohérence. La narration s’étend et s’articule autour de plusieurs œuvres s’alimentant sur différents médias ! Pour l’anecdote, Jinx, une des personnages principaux de la série, a été jouée 5% de fois plus qu’avant la sortie de la série.
Orelsan : Montre ça à tout le monde
« Ne montre jamais ça à personne », c’est le titre du documentaire sur la vie d’Orelsan paru en 2021 sur la plateforme Prime Vidéo. De ses débuts jusqu’à la consécration, le rappeur a été filmé par son frère pendant 20 ans, on va donc pouvoir retracer toute la vie de l’artiste et les galères. On se plonge dans l’intimité de lui et son groupe d’amis, on découvre les aléas de la vie d’artiste en devenir, avec un côté plus humain que jamais. Ce genre de contenu est une véritable pépite d’or pour le fan de l’artiste, il permet de pousser toujours plus la proximité. Mais là où cela fait fort, c’est au près d’un public plutôt nouveau, qui peut découvrir un artiste qu’il ne connait peut-être que de nom. La saison 2 du documentaire, retraçant la création de l’album Civilisation en période de COVID, est quant à elle sortie en 2022.
Un documentaire qui humanise l’artiste
Il est vrai que le documentaire offre des facilités de réalisation, mais il y a un côté particulier à suivre toute la carrière d’un artiste de si près. Dans les hauts et les bas, on ressent un réel sentiment d’authenticité qui prend le spectateur, en voyant un processus artistique aussi long et laborieux qu’une carrière comme celle d’Orelsan. Là où tout peut sembler faux sur les réseaux sociaux, ce genre de documentaire est un réel vent de fraicheur pour humaniser un artiste. Ce genre de documentaires nous fait avant tout découvrir une personne avant sa musique, on s’y attache alors plus facilement, nous créons avec l’artiste un lien qui va au-delà de la musique : un lien humain.
Une question de timing
La démarche n’est pas neuve, mais son exécution est plutôt originale, la série est en effet sortie lors d’une période de transition entre deux albums, quand l’artiste ne faisait pas beaucoup parler de lui. C’est aussi un bon moyen de refaire parler de soi, dans une stratégie de communication plus large. Et il faut croire que la démarche plait et intéresse, on a pu aussi voir récemment Angèle sortir son documentaire sur Netflix, sous la forme d’un journal intime.
Si on résume
On comprend donc que pour un contenu transmédia fonctionne, il doit s’inscrire dans une stratégie créative globale, les médias doivent aussi s’appuyer les uns sur les autres en terme d’univers, de contenus, d’histoires. Ils doivent se servir mutuellement pour se compléter, sans trop restreindre une consommation à outrance. Le transmédia est aussi une opportunité intéressante de diversifier son public, même renouveler totalement son public. Ces divers cas montrent qu’évidemment l’élément primordial reste le contenu, si une œuvre est qualitativement intéressante et assez riche, alors, on peut la décliner en jouant sur les caractéristiques qu’offre chaque média disponible.
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