Les acteurs publics face aux controverses : une riposte défensive entre neutralité et parti pris

par | Mar 10, 2025

Les médias publics suscitent régulièrement l’attention à cause de leur manque d’impartialité et de leur pluralisme limité. De récentes polémiques autour de certains programmes ont remis sur le devant de la scène des questions sur leur objectivité, déclenchant de vifs débats dans l’espace public. Ces diffuseurs sont-ils coupables de favoritisme ? La ligne se brouille entre neutralité et parti pris, mais à partir de quel seuil pouvons-nous parler d’une vraie orientation

Contexte

Depuis longtemps, les chaînes du secteur public font l’objet de discussions constantes concernant leur neutralité et leur capacité à refléter un large éventail de points de vue.
En 2015, l’émission Secrets d’Histoire, diffusée sur France 2, a démontré à quel point ces questions pouvaient devenir sensibles. Le Parti de Gauche, notamment via Jean-Luc Mélenchon et Alexis Corbière, y voyait un programme montrant une perspective conservatrice et idéalisée de l’histoire du pays.

Dans cette situation, France Télévisions a choisi de valoriser la réussite d’audience de ce programme, plutôt que d’entamer un échange approfondi au sujet de ses choix éditoriaux.
Ce cas illustre clairement une tendance plus large dans les médias publics : éviter la confrontation au lieu de favoriser une analyse détaillée de la programmation.

Secrets d’Histoire : une impartialité remise en question

Un affrontement politique

Au printemps 2015, Jean-Luc Mélenchon et Alexis Corbière s’adressent directement à Delphine Ernotte, nouvelle responsable de France Télévisions, afin de dénoncer l’approche considérée comme «rétrograde» de Secrets d’Histoire.
L’émission, focalisée sur des personnages royaux, est accusée de ne pas offrir assez de regards divergents, alors que le service public devrait, en principe, garantir une dimension pédagogique plus variée.

La réponse de la direction de France Télévisions arrive sous forme d’un communiqué, le 28 mai 2015. Il met surtout en avant les bons chiffres d’audience et la présence d’autres contenus historiques sur la grille.
Toutefois, ce discours n’examine pas la possibilité d’une orientation idéologique ou d’une présentation parfois biaisée de l’histoire.

Assez vite, la discussion se trouve sur les réseaux sociaux, où de nombreux utilisateurs débattent de la capacité réelle de la télévision publique à mettre en avant un spectre élargi de perspectives.

Quand la défense évite le fond

D’après Desmoulins et Dramé (2023), cette tactique s’apparente à une « communication publique défensive ».
Plutôt que d’encourager un dialogue clair, France Télévisions semble protéger son image et son succès populaire.
Une telle approche peut renforcer la suspicion d’un parti pris, surtout si l’argument principal est la popularité du programme.

On constate aussi un aspect politique : une structure soutenue par l’État risque d’être exposée à diverses pressions.
Les spécialistes précisent que l’organisme invoque la neutralité, tout en évitant le réel fond des critiques, qui concernent l’équité ou l’éventuel manque de pluralisme.

Vers une neutralité qui vacille : réalité et illusions

Les limites de l’impartialité

Depuis la loi Léotard (1986), l’audiovisuel public est censé encourager la pluralité des opinions.
Pourtant, dans la pratique, l’absence totale d’influence politique demeure difficile à garantir.
D’autres organismes comme la RAI en Italie ou la BBC aux Royaume-Unis se heurtent aussi à des suspicions de partialité.

Nathalie Heinich (2002) suggère que la neutralité totale n’existe pas.
Les angles de traitement, les interlocuteurs invités et le choix des thèmes sont forcément influencés par des préférences.
Juliette Rennes (2016) note que ces débats ressemblent à de réelles batailles symboliques : chaque acteur tente d’imposer sa propre façon de voir le passé ou l’actualité.

Dans Secrets d’Histoire, certains dénoncent le fait de se concentrer sur des figures monarchiques, évoquant une forme de nostalgie, tandis que peu de place est donnée à des angles plus critiques.

Jeu politique et récupération

Les doutes à propos de l’influence politique concernent aussi le système de nomination des responsables au sein des chaînes publiques.
Certains y trouve une ingérence de l’exécutif dans l’arrivée de Delphine Ernotte en 2015, nourrissant l’idée d’un usage politique.
Ailleurs, comme à la BBC ou à la RAI encore une fois, des controverses similaires ont surgi, soulignant un phénomène courant dans divers pays européens.

Pour Heinich, la «neutralité engagée» représente un compromis : on admet qu’on ne peut être parfaitement objectif, mais on prône une plus grande transparence.
Dans le cadre de Secrets d’Histoire, cela reviendrait à reconnaître certains biais, tout en donnant la parole à des historiens venus d’horizons variés pour obtenir une forme d’équilibre.

Mieux gérer les polémiques

La transparence au centre

Pour améliorer la confiance, on doit dépasser la simple référence aux audiences.
Quand un parti politique met en avant une iniquité possible, se contenter de souligner l’audience d’un programme ne suffit pas : il faut préciser la méthode et les choix effectués pour représenter l’histoire.

À la BBC, la création de règles pour expliciter les décisions éditoriales a poussé les équipes à détailler leurs partis pris.
Malgré tout, ces mesures ne suppriment pas intégralement les plaintes, mais elles réduisent les accusations de propagande.

Des espaces citoyens pour dialoguer

La formation de groupes indépendants, accueillant des personnes extérieures, serait un moyen de vérifier la véritable diversité de la programmation.
En France, un médiateur de l’audiovisuel existe, bien qu’il soit peu connu.

De tels outils offriraient aux citoyens un lieu pour exprimer leurs interrogations et mieux comprendre l’approche éditoriale, y compris pour un programme comme Secrets d’Histoire.
Les avis collectés influeraient potentiellement sur l’évolution du contenu, permettant d’envisager une vision plus large.

Une stratégie repensée sur les plateformes en ligne

Les critiques se diffusent très vite, notamment via Twitter et Facebook.
Au lieu de s’en tenir à un communiqué formel, France Télévisions aurait pu choisir une approche plus collaborative : par exemple, un échange direct avec l’animateur, ou la venue d’experts variés pour répondre en temps réel.
Cette méthode, plus pédagogique, aurait limité l’ampleur de la polémique, en explicitant la logique éditoriale et en promettant une plus large palette d’intervenants.

Les pistes d’un renouveau pour les médias publics

Bien au-delà de Secrets d’Histoire, d’autres cas ont révélé la difficulté des chaînes publiques à gérer les critiques.
Par crainte de fragiliser leur image, elles ont tendance à minimiser ces polémiques, donnant l’impression d’un manque d’ouverture.
Refuser de reconnaître la dimension politique de plusieurs décisions de programmation, c’est voiler les choix idéologiques qui en sont à l’origine.

Selon Juliette Rennes, ce genre de différends sur la mission du service public touche directement la manière dont se construit la mémoire collective.
Le sujet ne porte pas que sur le contenu d’une émission : il concerne la raison d’être des médias nationaux dans un système démocratique.

Conclusion : Renouer avec le public grâce à la sincérité et au dialogue

La controverse autour de Secrets d’Histoire n’est qu’un exemple parmi d’autres : elle reflète la difficulté majeure à laquelle l’audiovisuel public est confronté, à savoir concilier pluralisme, pressions politiques et doutes sur sa légitimité.

L’attitude défensive adoptée par France Télévisions peut préserver une certaine stabilité d’image, mais elle renforce la méfiance.
Pour refaire le lien avec les téléspectateurs, il devient crucial d’envisager de nouvelles voies :

  1. Expliquer clairement les choix de programmation et la façon dont les divers points de vue sont intégrés.
  2. Mettre en place ou fortifier des espaces de concertation avec le public, afin qu’il puisse réagir ou proposer des évolutions.
  3. Être plus présent et réactif sur les réseaux sociaux, par le biais de discussions directes qui permettraient d’apporter des explications et d’ouvrir d’autres angles possibles.

Enfin, comme le suggère Nathalie Heinich, la «neutralité engagée» suppose de reconnaître qu’on ne peut tout couvrir sans parti pris, tout en cherchant à montrer plusieurs facettes d’un même sujet.
Des émissions phares comme Secrets d’Histoire gagneraient à multiplier les approches, en indiquant clairement leurs choix et en élargissant la palette d’experts.

Dans un environnement médiatique de plus en plus morcelé et très porté sur le numérique, la légitimité du service public dépendra de sa volonté de justifier ses décisions, de prendre en compte l’avis du public et de dépasser le seul réflexe défensif lorsque surviennent des controverses.
Un tel changement requiert un réel courage au niveau éditorial et un choix résolu en faveur de la transparence, condition indispensable pour que survive la dimension démocratique rattachée à la notion de service public audiovisuel.

Bibliographie

Desmoulins, L., & Dramé, A. (2023). L’irruption d’une communication publique défensive : l’impossible dépolitisation de la réponse de la télévision publique à la critique d’une émission d’histotainment.

ComPro : Les champs professionnels de la communication publique en mutation, 15, 71‑88. https://ojs.uclouvain.be/index.php/comprof/article/view/79283/77643

Heinich, N. (2002). Pour une neutralité engagée. Questions de communication, 2, 117‑127. https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/7084

Rennes, J. (2016). Les controverses politiques et leurs frontières. Études de communication, 47, 21‑48. : http://journals.openedition.org/edc/6614

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