Gérer un bad buzz et restaurer son image : l’exemple d’H&M face à la crise

par | Avr 11, 2025

La communication de crise est aujourd’hui un enjeu stratégique incontournable pour toute entreprise exposée publiquement. Dans un monde connecté, où l’information circule à une vitesse fulgurante, une erreur de communication peut rapidement devenir virale et générer ce que l’on appelle un Bad buzz (Alloing, Pierre & Trédan, 2018). L’exemple de H&M, confrontée en 2018 à une vague d’indignation mondiale à la suite d’une campagne jugée raciste, illustre la complexité de ces situations et l’importance de savoir réagir avec intelligence, sincérité et efficacité.

Réactions digitales face au bad buzz – Freepik

Les intervenants

À travers une analyse croisée des témoignages d’Aglaé Sacré, chargée de communication, et d’Émilie Rateau, coordinatrice en communication, cet article met en lumière les enseignements à tirer de cette crise, tout en proposant des pistes concrètes pour restaurer l’image d’une marque affectée par un Bad buzz.

Une crise révélatrice de dysfonctionnements organisationnels

En janvier 2018, la marque suédoise H&M s’est retrouvée au cœur d’une tempête médiatique, suite à la diffusion d’une publicité montrant un enfant noir portant un sweat- shirt sur lequel figurait l’inscription “Coolest Monkey in the Jungle”. Cette maladresse visuelle a suscité une indignation généralisée, interprétée comme la manifestation d’un manque de sensibilité culturelle, mettant en évidence des défaillances dans la chaîne de validation de la communication, révélant les failles profondes dans la chaîne de validation de la communication de l’entreprise. D’après les réponses croisées d’Aglaé Sacré et d’Émilie Rateau, toutes deux expertes en communication, cette crise n’est pas uniquement le fruit d’un visuel inapproprié, mais le symptôme d’un manque de vigilance stratégique et d’une absence manifeste de diversité dans les équipes responsables de la communication.

L’élément déclencheur, selon les deux professionnelles, réside dans l’absence d’un filtre culturel au sein du processus décisionnel de l’entreprise. Comme le souligne Aglaé Sacré, une équipe diversifiée et un contrôle multiculturel auraient pu éviter cette erreur. Émilie Rateau va plus loin en insistant sur la nécessité d’une anticipation systémique des risques réputationnels par le biais d’un encadrement interculturel rigoureux et de procédures validées par des experts de l’inclusion. Ce cas illustre la responsabilité accrue des entreprises face aux attentes éthiques croissantes des consommateurs, dans un contexte où la moindre faille peut devenir virale.

Réactivité et authenticité : les piliers essentiels d’une gestion de crise

La rapidité de réaction constitue un critère fondamental en matière de communication de crise. Toutefois, comme le rappellent nos deux répondantes, cette réactivité doit s’accompagner d’authenticité et de cohérence. En communication, l’authenticité désigne la capacité d’une organisation à s’exprimer de manière sincère, transparente et alignée

avec ses valeurs profondes (Molleda & Jain, 2013). Elle est perçue comme un vecteur de légitimité et de crédibilité dans un contexte de crise. Quant à la cohérence, elle renvoie à l’alignement entre les paroles, les actions et l’identité institutionnelle (Fombrun & van Riel, 2004). Une communication cohérente permet de maintenir la confiance des parties prenantes et d’éviter les dissonances perçues comme opportunistes ou manipulatrices. Bien que la marque ait rapidement présenté ses excuses et retiré le visuel incriminé, ces actions ont été perçues comme superficielles, car elles manquaient de profondeur symbolique et d’engagement structurel.

En communication de crise, une réponse est jugée superficielle lorsqu’elle se limite à une réaction immédiate sans remise en question des pratiques internes ni mise en œuvre de mesures correctives visibles (Coombs, 2007). Dans le cas présent, le manque d’initiatives tangibles – telles que des engagements publics clairs, des audits menés par des tiers ou une révision en profondeur des processus décisionnels, a renforcé l’idée d’une communication de façade, perçue comme stratégique plutôt que sincère.

Selon Émilie Rateau, « la réponse n’a pas été très efficace puisque l’ensemble de la communication a manqué d’engagement, de sincérité et d’empathie ». Aglaé Sacré partage ce constat, insistant sur le manque de profondeur du message et l’insuffisance des actions concrètes entreprises dans les jours qui ont suivi l’incident.

Les deux professionnelles insistent sur le fait qu’une réponse trop tardive peut provoquer un effet boule de neige, laissant d’autres acteurs s’emparer du récit. La perte de contrôle de la narration représente un risque majeur pour toute marque dans l’ère du numérique, où les réseaux sociaux sont à la fois des outils puissants de gestion directe et des amplificateurs de crise. Pour éviter cela, Aglaé Sacré recommande une approche fondée sur des plans d’action immédiats, l’adoption d’un ton empathique, et une posture d’humilité. Une simple déclaration ne suffit plus : les entreprises doivent démontrer leur volonté de changement en posant des actes concrets, durables et mesurables.

De la restauration à la reconstruction : vers une réputation fondée sur des engagements durables

La gestion post-crise ne peut se limiter à une opération de communication ponctuelle. Comme le montrent les retours d’expérience de nos deux répondantes, c’est dans la durée que se reconstruit véritablement une image de marque. H&M a mis en place certaines actions — notamment des formations à la diversité et la révision de ses processus — mais, selon Aglaé Sacré, ces démarches doivent s’inscrire dans une logique de continuité, être régulièrement évaluées, et validées par des intervenants externes, tels que des organismes spécialisés ou des experts indépendants en responsabilité sociétale, diversité et inclusion. Leur rôle est d’apporter un regard neutre et qualifié, garantissant que les engagements de l’entreprise reposent sur des standards reconnus et non sur une simple stratégie d’image. Pour Émilie Rateau, la sincérité des actions est essentielle : « Il faut prouver les résultats en publiant des chiffres, des témoignages, en montrant concrètement l’impact des changements ».

Le dialogue avec les consommateurs, surtout les parties offensées, devient alors un levier de réconciliation. Les réseaux sociaux permettent un échange rapide et direct, mais peuvent aussi exacerber les tensions si la réponse est jugée décalée, inappropriée ou défensive. En ce sens, les marques doivent faire preuve d’écoute active et s’aligner avec

les revendications sociales. L’engagement RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) la RSE, entendue comme l’ensemble des démarches par lesquelles une entreprise assume les impacts sociaux et environnementaux de ses activités, tout en intégrant les attentes de ses parties prenantes dans une logique de durabilité (Carroll, 1999), devient ici un instrument central de régénération de la réputation. Il ne s’agit plus seulement de répondre à une crise, mais de transformer les pratiques internes à travers des partenariats, des audits inclusifs, et une communication responsable. Comme la montre l’exemple de Nike qui illustre parfaitement l’importance d’un engagement durable après une crise. En 2018, la marque a suscité une vive controverse en choisissant Colin Kaepernick, figure engagée contre les violences policières, comme visage de sa campagne « Just Do It ». Face aux critiques et aux appels au boycott, Nike n’a pas cédé. Au contraire, l’entreprise a assumé son positionnement en réaffirmant ses valeurs d’inclusion et de justice sociale. Ce choix, loin d’être une simple opération de communication, s’est inscrit dans une stratégie de marque sur le long terme, appuyée par des campagnes engagées et des partenariats communautaires. Cette posture cohérente a permis à Nike de renforcer sa réputation, notamment auprès des jeunes générations, et d’enregistrer une hausse notable de ses ventes.

Conclusion

L’affaire H&M illustre avec acuité combien la communication de crise s’impose aujourd’hui comme un levier stratégique majeur dans la gestion de l’image de marque. Une simple opération de relations publiques ne suffit plus à contenir un Bad buzz : c’est c’est une approche systémique qui s’impose, c’est-à-dire une démarche qui considère l’organisation comme un ensemble d’éléments interconnectés (Morin, 1990), où la communication ne peut être dissociée de la culture d’entreprise, de la gouvernance interne, et des attentes des parties prenantes.

Les enseignements de cette crise mettent en évidence plusieurs leviers essentiels : une réactivité mesurée, empreinte d’empathie ; une authenticité réelle dans les excuses et les actions qui en découlent ; une représentativité culturelle au sein des équipes pour éviter les biais et maladresses ; des engagements concrets, évaluables et durables ; enfin, un dialogue continu, fondé sur l’écoute active et la reconnaissance des préoccupations du public.

Dans un environnement numérique où l’opinion publique est particulièrement réactive et la viralité des contenus difficile à maîtriser, les marques ne peuvent plus se contenter de gérer la communication : elles doivent bâtir et entretenir un lien de confiance solide, capable de résister à la turbulence. C’est en adoptant une posture plus humble, cohérente et engagée qu’elles pourront non seulement restaurer leur image, mais parfois même en sortir renforcées.

Bibliographie

Alloing, C., Pierre, J., & Trédan, G. (2018). Bad buzz : vers une typologie de la viralité négative à l’ère du numérique. Revue française des sciences de l’information et de la communication,

Benoit, W. L. (1997). Image repair discourse and crisis communication. Public Relations Review, 23(2), 177–186.

Carroll, A. B. (1999). Corporate Social Responsibility: Evolution of a Definitional Construct. Business & Society, 38(3), 268–295.

Coombs, W. T. (2007). Ongoing Crisis Communication: Planning, Managing, and Responding. SAGE Publications.

Coombs, W. T., & Holladay, S. J. (2012). The Handbook of Crisis Communication. Wiley- Blackwell.

Fombrun, C. J., & van Riel, C. B. M. (2004). Fame and Fortune: How Successful Companies Build Winning Reputations. FT Press.

Molleda, J. C., & Jain, R. (2013). Authenticity and the strategic communication of corporate social responsibility. Journal of Communication Management, 17(3), 203– 217.

Morin, E. (1990). Introduction à la pensée complexe. Seuil

Sacré, A. (2025). Réponses au questionnaire sur la gestion de crise – CasH&M.

Rateau, É. (2025). Réponses au questionnaire sur la gestion de crise – Cas H&M

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